Développement durable en Afrique & Satellites - page 47

L’eau : un droit
pour tous
Depuis l’Antiquité l’eau potable
occupe une place centrale dans les
villes tunisiennes, pour des préoccupa-
tions d’hygiène pendant la période
punique et romaine, puis spirituelles
avec la civilisationmusulmane. Si la Tu-
nisie a aujourd’hui rempli les Objectifs
du Millénaire pour le Développement en
matière d’eau potable ­– la desserte est
généralisée enmilieu urbain et dépasse
90% en milieu rural ­– les disparités
ente villes et campagnes demeurent.
La politique de l’eau potable a été
portée par un engagement social fort
du gouvernement de l’après Indépen-
dance : la "solidarité nationale". Via
la SONEDE, la Société Nationale
d’Exploitation et de Distribution des
Eaux, créée en 1968, un système de
péréquation devait fournir de l’eau à
tous les citoyens quasiment au même
tarif. Mais ceux des zones rurales,
très pauvres, sont pénalisés par des
tarifs plus élevés qu’en ville et les
risques sanitaires restent importants.
Dans une Tunisie révolutionnaire et
en construction démocratique, des voix
s’élèvent pour réduire les disparités
locales et placent l’équité à l’accès à
l’eau potable au cœur des revendica-
tions pour une vie digne. Le projet de
constitution, dans sa version de juin
2013 énonce que " le Droit à l’eau est
garanti. Sa conservation et la rationali-
sation de son usage est un devoir de
l’Etat et de la société ". Des voix
citoyennes continuent à appeler à
l’amélioration de ce texte pour, entre
autres, y inclure aussi la notion de patri-
moine commun.
c
Sarra Touzi
Global Water Partnership-Med
Tunisie
Chafia, 25 ans responsable volontaire
d’une fontaine publique à Oued Sbaihya,
Zaghouan (Tunisie)
D
epuismon enfance, je consacre une
partie de ma vie à l’eau. Quand
j’étais petite fille, j’accompagnais
ma mère pour chercher l’eau dans les
sources et les puits dans les oueds. C’était
pénible et dur, surtout en été et en hiver. Main-
tenant je vais toujours chercher l’eau avec les
voisines et les cousines. Comme moi et mes
deux sœurs de 10 et 14 ans, la majorité des
filles des douars (hameaux) abandonnent très
tôt l’école pour le gardiennage des troupeaux
et l’approvisionnement en eau potable. En
1994, j’avais à peine 10 ans, une fontaine reliée
à des canaliasations a été installée non loin de
notre douar et j’étais très contente de voir pour
la première fois une fontaine. Ce projet devait
desservir 450 familles, réparties sur plu-
sieurs douars de Oued Sbaihya. Au total 34
fontaines publiques ont été installées pour
rapprocher l’eau des familles et soulager la
corvée des femmes et des filles. Depuis son
installation, notre réseau d’eau potable est
confronté à des difficultés :
• À cause de problèmes techniques,
l’eau n’est jamais arrivée dans 4 fontaines:
60 familles continuent à s’approvisionner
dans des fontaines éloignées, des puits,
etc., dans des conditions très difficiles.
• Le prix du m
3
à la fontaine publique a
atteint 2 dinars (DT, environ 1,1 euro) en 2009,
contre 0,174 DT dans le réseau SONEDE (voir
ci-contre) pour la tranche sociale.
Pour alléger la charge de travail des
femmes et des jeunes filles, des fontaines
publiques ont été installées dans les
zones rurales de Tunisie.
© FAO
 Des ingénieurs islamiques ont transmis la
technique de pompes à piston aux ingénieurs de la
Renaissance en Europe. Musée islamique, Sharjah
(Émirats Arabes Unis).
© J-D Dallet/Suds-Concepts
• Des problèmes techniques et surtout
de gestion occasionnent des coupures
d’eau répétées et souvent longues sur l’en-
semble du réseau; la pire a duré de 2004 à
2009. Nous étions alors obligés d’acheter
l’eau par citernes (5 à 7 DT le m
3
), ou de
nous approvisionner comme par le passé.
• En août 2010, le Groupement de Déve-
loppement Agricole (GDA) de Oued Sbaihya
a été chargé de la gestion du réseau et en a
réhabilité une partie avec l’appui des ser-
vices techniques. Le prix du m
3
a été réduit
de 25%. Toutefois, les 60 familles de la partie
amont n’ont toujours pas d’eau.
• Le GDA a responsabilisé des familles
pour gérer les fontaines. Nous sommes au
total 22 hommes et 8 femmes volontaires et
bénévoles. Moi, je gère celle de notre douar.
J’ai la clé, et à une heure convenue avec mes
voisines, je leur vends l’eau au prix défini par
le GDA, par bidon et, rarement, par citerne.
Le responsable du GDA fait le tour des fon-
taines pour collecter l’argent sur la base des
compteurs. Cependant, du fait du manque de
moyens de transport, il ne vient pas souvent
et la facture d’électricité (du pompage) n’est
pas payée à temps. La Société Tunisienne
d’Electricité et de Gaz coupe alors l’électricité
ce qui se traduit par des coupures d’eau.
Malgré notre engagement volontaire et béné-
vole, nous sommes donc toujours confrontés
aux mêmes problèmes.
c
Avec Noureddine Nasr
Enseignant chercheur
Tunisie
Mobilisés pour l’eau
Eau - 45
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