Développement durable en Afrique & Satellites - page 63

le début de l’hivernage et la saison des
récoltes. Mais depuis quelques années je
ne vois plus de héron noir et c’est une
grande perte car ils nous débarrassaient
des criquets. Notre meilleur insecticide,
c’était eux !
Et puis il n’y a pas que les migrations
des animaux qui changent. En 1969 quand
j’ai commencé à travailler il n’y avait pas un
seul nomade Peul de par chez nous, pas de
Mossi non plus. Les éleveurs sont arrivés
avec les grandes sécheresses du Sahel dans
les années 70, puis ils ont pris l’habitude de
revenir. Et aujourd’hui ils représentent une
bonne partie de la population. Je dirais que
la moitié de la population est venue du
nord, à cause du changement climatique et
du manque de pâturage dans le Sahel. Son-
gez que certains éleveurs y possèdent jus-
qu’ a 10 000 têtes de bétail, alors ils en en-
voient 500 à droite, 500 à gauche, 500 au
sud. Et comme leurs bêtes sont habituées à
brouter les feuilles des arbres, à manger
les repousses, les éleveurs n’hésitent pas à
couper nos arbres pour leur fournir du
fourrage.
En terme d’adaptation, quelles sont les
urgences pour lutter contre le changement
climatique ?
Je suis très pessimiste. Nous n’y sommes
pas préparés. Nous cultivons maintenant
jusqu’aux berges des rivières, nous déboi-
sons énormément, nous exploitons nos
terres avec beaucoupmoins demain-d’œuvre
qu’avant, certains utilisent même des herbi-
cides, des semences hybrides, des OGM,
donc nous perdons la maîtrise de notre cir-
cuit de production. Nos petites guerres tri-
bales, incessantes, nos querelles post électo-
rales, ne sont pas faites pour arranger les
choses. Qu’allons nous devenir quand le
changement climatique frappera un grand
coup ici, comme le “Big One” que les Améri-
cains attendent depuis des années ?
Vous, les occidentaux, êtes hyper déve-
loppés – ce sont vos usines qui nous envoient
le gaz carbonique – alors vous pourrez conci-
lier changement climatiqueet développement.
Ici tout vient de la terre ,rien que de la terre.
Nous sommes analphabètes à 80%, comment
expliquer à un agriculteur que c’est à cause du
changement climatique qu’il ne peut plus
produire comme par le passé ? On dit que la
banquise fond. Je sais où se trouve la ban-
quise, moi? Ca fond comment, c’est dubeurre?
Je n’en sais rien. Que diantre allez-vous me
parler d’un changement climatique?
Tout cela passe avant tout par un grand
effort de pédagogie, d’enseignement, de
formation. Les pays occidentaux, et parti-
culièrement la France, ont la responsabilité
de nous aider à alerter les populations de
ce qui les menace, et de leur donner les
moyens de s’adapter.
c
Fidel Yogo Adiguipiou s’inquiète des conséquences
du changement climatique sur les plantations. Ici,
du coton.
© Christophe Nussli
Science et tradition au Burkina Faso. Un technicien mesure la qualité de l’eau. Initiation d’un nouveau
devin de la congrégation des feuilles. Les devins sont consultés quand la pluie se fait attendre plus que
d’habitude.
© Florence Fournet et Stéphan Dugast/Indigo/IRD
Caravane de Peuls se rendant au marché
hebdomadaire d’Oursi, au nord du Burkina Faso.
© Daina Rechner /Indigo/IRD
50 cm d’eau entre août et septembre ne va
pas vous donner 1200kg par hectare! Les
précipitations déciment aussi notre cheptel.
Nos bêtes sont plutôt adaptées aux condi-
tions sahéliennes ; alors, quand elles se re-
trouvent les pieds dans l’eau, elles attrapent
une forme de pneumonie.
Comment les populations réagissent
à cette remise en cause des pratiques
ancestrales ?
Nous sommes touchés au niveau de
notre habitat, de notre agriculture, parce
que nous ne maîtrisons plus la météorologie
locale. Quand vous êtes cultivateur, d’instinct
vous allez vouloir planter dans les bas-
fonds, parce que c’est plus humide ; désor-
mais il vous faut remonter pour espérer
voir passer Noé avec son arche ! Et puis que
va-t-il arriver si la saison des pluies est
mauvaise ? Nous ne savons vraiment plus à
quel saint nous vouer…
Avant, au mois de mars, quand on rece-
vait quelques gouttes, les gens explosaient
de joie en chantant “voici la pluie des man-
gues, voici la pluie des mangues”. Cette
année nous sommes le 7 mars, il a déjà plu
3 fois. Trois pluies, si nous étions en juin, il
n’en faudrait pas plus pour préparer la
terre et semer… Mais bien fou l’agriculteur
qui préparerait sa terre au mois de mars !
Avant, on se servait aussi beaucoup des
animaux, des plantes, pour prévoir ce qui
allait se passer dans les jours à venir. Nous
avons des oiseaux migrateurs qui peuvent
nous renseigner sur l’arrivée de la saison
des pluies. Par exemple le départ vers le
sud des toucans et des hérons noirs marque
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