S
i l’on considère l’étroite relation que
les sociétés africaines tradition-
nelles entretiennent avec leur envi-
ronnement naturel il n’est pas surprenant
que les rivières et la mer, avec leurs mys-
tères, leurs histoires, leurs qualités, aient
donné naissance aux rythmes, aux figures
et à la gestuelle de la danse. Dans l’une des
langues du peuple Bamiléké, au Cameroun,
le mot qui exprime l’eau,
N’shi,
est le même
que celui que l’on utilise pour "danse" et
pour "musique". Eau, danse et musique
s’imbriquent pour devenir les métaphores
de la vie même.
De nombreuses danses inspirées par
l’eau reflètent les activités et le folklore des
peuples riverains des fleuves ou de la mer.
Selon le théologien et historien Engelbert
Mveng, les danses Lhongo du Cameroun
célèbrent les exploits marins d’un héros
mythique de la région de Bassa. Cet inven-
teur du canoë, fut un grand explorateur et
découvreur de terres inconnues. Les danses
du peuple Ijo dans le Delta du Niger sont à
l’image de leur environnement. Quand les
Ijos dansent, ils se balancent légèrement et
avec adresse comme s’ils étaient dans une
pirogue ou sautaient de pierre en pierre
pour passer un gué. Leurs pas, aux figures
complexes, sont alors coordonnés avec des
mouvements brusques et vifs des hanches,
effectués le torse incliné. L’une des phases de
la danse Su du peuple Birnin Kebbi,dans le
nord du Nigeria, reproduit la position et les
gestes du pêcheur qui jette son filet. Doris
Green, ethnologue-musicologue, décrit cette
danse exécutée dans la rivière elle-même
par la descendance féminine de familles de
pêcheurs. Le mode de vie des pêcheurs
inspire également la danse Kpanlogo du
peuple Ga au Ghana. Elle est aujourd’hui
exécutée, entre autres, par des troupes
folkloriques à l’usage des touristes sur les
plages d’Accra. Mais les danses africaines
les plus fameuses inspirées par l’eau sont
sans doute celles dédiées à Osun, la déesse
Yoruba du fleuve. Au-delà du Nigeria, ces
danses sont pratiquées par la diaspora
africaine, en particulier au Brésil et à Cuba.
Du fait de leur fluidité, les danses inspi-
rées par l’eau figurent parmi les plus belles
du répertoire culturel africain. Celle qui tire
son nom de la rivière Nesshoue stupéfia lit-
téralement l’anthropologue britannique
Geoffrey Gorer quand il y assista au Dahomey
dans les années 1930. Le spectacle mettait
en scène des rangées harmonieusement
disposées de danseurs ondulant lentement
au rythme de la musique, magnifiquement
costumés. La danse Ekombi du peuple Efik
au Nigeria est célèbre pour sa beauté. Une
gestuelle complexe du dos et des épaules
transmet par les bras, telles des rides à la
surface de l’eau, de gracieux mouvements
ondulatoires aux coudes et aux poignets
des danseurs. Les pas, très rapides, qui
font se mouvoir le corps d’un côté à l’autre
sont ponctués par une douce élévation suivie
d’une retombée du corps évoquant le
constant mouvement de la houle sur la mer.
Au théâtre, comme dans les sociétés
traditionnelles, spiritualité, communauté,
permanence sont des thèmes récurrents
dans les danses inspirées par l’eau. Dans le
ballet "Révélations", célébration de l’esprit
Afro-américain par le célèbre chorégraphe
Alvin Ailey, il n’est donc pas étonnant que la
scène centrale soit un baptême dans une
rivière. Des chorégraphes tels qu’Abdel
R.Salaam, directeur artistique de "Forces
of Nature", tendent par leurs ballets à attirer
l’attention du public sur les questions d’en-
vironnement. Les danses inspirées par les
fleuves et les mers font partie du cycle de la
vie et réjouissent l’âme de ses mystères.
c
Funmi Adewole Kruczkowska,
Écrivain, Nigeria
Avec James Carlès Nganou, chorégraphe,
Cameroun / France
Ghrai DeVore danse en solo dans une chorégraphie du directeur artistique de l’Alvin Ailey American Dance Theatre, Judith Jamison, interprétée par la
compagnie Ailey II.
© Eduardo Patino
Danse avec les vagues
Mers - 87